Chine : Auchan et Carrefour au pays du « new retail »

French retail firm Auchan to open checkout-free shops in China

En terme de retail, “la lumière vient désormais de l’Asie” après des Coréens “techno-addict”, voilà des Chinois “mobile friendly”. L’expérience client se construit exclusivement autour du “mobile only” (HUAWEI oblige…) et toutes les projections que nous faisions il y a 3 ou 4 ans sur les futurs usages se réalisent en Chine. Abolition de la frontière entre online et instore, instantanéité du service, personnalisation de l’expérience phygital…etc caractérisent ce “new retail”. Et nous ne sommes plus dans la preuve de concept, c’est un laboratoire “inrealife” avec comme seul avantage pour notre futur l’omniprésence des enseignes française qui façonnent dans ce labo à ciel ouvert les offres qui rythmeront bientôt notre quotidien…

 Ultraconnectés, les Chinois sont à la pointe d’un nouveau modèle de distribution abolissant la frontière entre e-commerce et magasin en dur. Un laboratoire grandeur nature pour les enseignes françaises.

Chacun avec un smartphone, ils sont postés en différents points stratégiques de l’hypermarché. Quand tombe la commande sur leur écran, les vendeurs filent sans tarder dans les rayons de cet Auchan du quartier de Yangpu à Shanghai : fruits du dragon, pamplemousses ou boîtes de mouchoirs sont rapidement placés dans des sacs, avant d’être accrochés sur un rail qui court sur le plafond au-dessus des étals avant de disparaître derrière le mur. De l’autre côté, dans l’entrepôt, une armée de coursiers en deux-roues électriques se tient prête à accomplir la promesse de l’enseigne : livrer la commande en moins d’une heure dans un rayon de 3 kilomètres.

Plus à l’ouest de la ville, dans le Carrefour du quartier de Gubei, les livreurs sont également dans les starting-blocks. Ici, il n’y a pas de rails pour accélérer le « picking », mais les 1.000 produits les plus demandés sont tous rassemblés dans un même espace. L’heure du déjeuner approche et les commandes de nouilles instantanées, de chips ou de bouteilles de thé s’enchaînent.

De chez eux ou de leur bureau, les clients ont tous passé commande depuis leurs téléphones mobiles via l’appli de l’enseigne ou, plus généralement, celles des spécialistes de la livraison de repas, dont l’activité explose en Chine.

Des Chinois ultraconnectés

Ici, plus que partout ailleurs, l’usage intensif du smartphone a fait voler en éclats le modèle classique du supermarché inventé aux Etats-Unis dans les années 1920. Ultraconnectés, les Chinois sont à la pointe d’un nouveau modèle de distribution abolissant la frontière entre l’e-commerce et les magasins en dur. « Il ne s’agit plus d’opposer mais de fusionner le digital et le commerce physique, au service d’une expérience d’achat sans couture et personnalisée pour le consommateur », explique Edward Tse, président de la société de conseil Gao Feng. Pour qualifier cette révolution en marche, les spécialistes parlent de « O2O » (online to offline) ou encore de « new retail », comme l’a conceptualisé le géant de l’e-commerce Alibaba, lors de l’ouverture de son premier supermarché ultraconnecté Hema il y a trois ans. Encore très théorique en France, ce commerce « phygital » est déjà une réalité en Chine.

Les acteurs traditionnels comme Auchan, Carrefour ou Wallmart sont aux avant-postes pour observer cette mutation. Après avoir ouvert des supermarchés à tour de bras et profité de l’hypercroissance du géant asiatique au tournant des années 2000, ces derniers ont pris de plein fouet la vague de l’e-commerce, un véritable tsunami dans un pays comptant quelque 800 millions d’Internautes, surfant essentiellement sur leur mobile. Le coup a été rude pour des acteurs soudainement confrontés à une stagnation de leur chiffre d’affaires, bien de loin de 15 % à 25 % de croissance affichée à la fin des années 2000.

Laboratoire grandeur nature

Les consommateurs chinois pouvant commander et payer n’importe quoi, n’importe quand et de n’importe où avec leur mobile, beaucoup ne donnaient pas cher des vieux supermarchés. Surtout quand  les géants de l’Internet Alibaba, Tencent et JD.com ont commencé à vouloir entrer de plain-pied dans le commerce physique , où se réalisent encore près de 85 % des ventes de détail !

Mais plutôt que de tuer la grande distribution, les mastodontes chinois de la tech l’ont poussé à se réinventer, à se dépoussiérer en intégrant à marche forcée les nouvelles technologies. « La Chine est un laboratoire grandeur nature », assure Ludovic Holinier, le patron d’Auchan Retail Chine. Pour accélérer cette mutation, Auchan s’est allié il y a un an au géant Alibaba, entré au capital de la coentreprise Sun Art, dont le français est le premier actionnaire. « C’est comme si nous avions pris un pack de Redbull pour accélérer notre transformation phygitale ! », sourit Stéphane Boënnec, chargé de l’innovation chez Auchan Chine.

 Nous avons un an d’avance sur le planning initial de notre alliance avec Alibaba 

Avec Hema, à la fois supermarché haut de gamme spécialisé dans les produits frais, espace de restauration et centre de livraison, Alibaba est à la pointe de ce nouveau commerce. L’idée d’accrocher les sacs au plafond pour accélérer la préparation des commandes Internet vient de chez Hema. « Nous avons un an d’avance sur le planning initial de notre alliance », souligne Ludovic Holinier, dont la coentreprise Sun Art qu’il dirige gère 461 hypermarchés en Chine, le deuxième marché d’Auchan derrière la France.

De son côté, Carrefour a conclu en janvier un  partenariat avec Tencent , propriétaire de l’appli WeChat au milliard d’utilisateurs, dans l’espoir de relancer une filiale chinoise  en perte de vitesse et sujette à des rumeurs récurrentes de cession . Inauguré en mai dernier au sous-sol d’un immeuble de Shanghai, Carrefour Le Marché (indiqué en français) est la première matérialisation de la collaboration de l’enseigne avec Tencent. Ici, deux caisses testent le paiement par reconnaissance faciale via l’appli WeChat. Une fois le visage enregistré, plus besoin de sortir son porte-monnaie pour régler ses achats. Un regard à la caméra suffit. Le procédé relève encore du gadget, dans un pays où le paiement mobile est largement utilisé, mais il pourrait à terme remplacer la validation par code ou empreinte digitale.

Un service sur mesure

Une autre innovation est la solution Scan & Go permettant d’éviter le passage en caisse. Le principe ? Avec son mobile, le client scanne directement, via une mini-application intégrée dans WeChat, les articles et les ajoute au fur et à mesure dans son panier électronique. Le paiement s’effectue sur le mobile, n’importe où dans le magasin. Seule exigence avant de quitter les lieux : présenter son ticket électronique à une machine ou un vendeur pour prouver que les courses ont bien été payées. « En quelques mois, 15 % des clients du magasin ont déjà opté pour cette solution de paiement, souligne Thierry Garnier, le patron de Carrefour en Chine. A côté des caisses classiques et des caisses automatiques, ce système préfigure les solutions de paiement du futur. » Cette solution est aussi en train d’être déployée chez Auchan.

Carrefour Chine
Avec son mobile, le client scanne directement, via une appli dans WeChat, les articles qu’il achète et paie via son smartphone. Seule exigence avant de quitter les lieux : présenter son ticket électronique à une machine ou un vendeur pour prouver que les courses ont bien été payées – Wang gang/Imaginechina/AFP

L’amélioration du parcours d’achat ne s’arrête pas à la digitalisation des caisses, aux étiquettes électroniques ou encore aux QR Codes que l’on peut scanner avec son mobile sur certains fruits et légumes pour s’informer de leur provenance. Le « new retail », c’est surtout la promesse d’un service sur mesure reposant sur la connaissance très fine des consommateurs grâce au traitement  des immenses bases de données d’Alibaba et de Tencent . « Avec le digital, nous passons d’un commerce de masse à une individualisation de l’offre, s’enthousiasme Ludovic Holinier. Le O2O permet de fidéliser le client mais aussi de l’inciter à revenir en magasin pour profiter de conseils produit, d’une dégustation de vin ou bien d’une promotion sur les fruits de mer dont on sait qu’il est friand. » Fini, les catalogues impersonnels à l’entrée du supermarché. Les offres commerciales ciblées tombent directement sur le téléphone du client.

 Le supermarché de demain ne peut pas être qu’un endroit où l’on fait ses achats mais un lieu de vie où l’on aime passer du temps 

Pour convaincre le consommateur chinois de revenir en magasin, l’expérience est le maître mot des distributeurs. « Le supermarché de demain ne peut pas être qu’un endroit où l’on fait ses achats mais un lieu de vie où l’on aime passer du temps », explique Thierry Garnier. Comme chez Hema, les clients de Carrefour Le Marché peuvent demander qu’on leur cuisine les crustacés vivants qu’ils viennent d’acheter et les déguster sur place dans l’espace restaurant à proximité. Les produits alimentaires représentent 80 % des articles du magasin. La galerie marchande, au design soigné, fait également la part belle aux cuisines de monde. Restaurants, salons de coiffure, cabine de karaoké, etc., il faut donner au client ce qu’il n’a pas sur son mobile. Le plan du supermarché a également été entièrement repensé : terminé le parcours interminable à travers les rayons. Pour les clients les plus pressés, chaque niveau a désormais sa sortie.

Magasin sans personnel

Poussant la logique à son paroxysme, l’hypermarché Auchan de Yangpu a installé une supérette sur chacun de ses parkings. Baptisé « Auchan Minute », ce minimagasin de 18 mètres carrés aux allures de conteneur, conçu avec le groupe chinois d’électronique Hisense, propose 500 produits, essentiellement alimentaires. Ouvert 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, il fonctionne sans personnel : le client scanne un QR Code avec son mobile qui lui ouvre la porte et l’identifie puis paie ses articles avec WeChat ou Alipay, les solutions de paiement mobile de Tencent et d’Alibaba. Les articles n’ont pas de puces RFID : pour éviter les vols, la petite boutique est équipée de caméras et un gros autocollant sur la porte rappelle au client que la zone est sous la vidéosurveillance de la police.

Un an après leur lancement, déjà 335 Auchan Minute sont déployés en Chine. « C’est un concept qui permet de baliser une zone de vie avec la marque et d’être dans les flux de circulation quotidiens des habitants », indique Ludovic Holinier. L’objectif est d’installer ces Auchan Minute dans un rayon de 3 kilomètres autour d’un hypermarché de manière que les consommateurs croisent l’enseigne toutes les sept minutes à pied ! « L’hypermarché devient la plate-forme logistique des magasins de proximité », poursuit-il.

 Depuis l’an dernier, non seulement les magasins traditionnels se redressent mais le commerce électronique continue d’afficher une forte croissance 

Les hypermarchés, dont on annonce régulièrement la mort en France, ont-ils trouvé la martingale en Chine ? « Depuis l’an dernier, non seulement les magasins traditionnels se redressent mais le commerce électronique continue d’afficher une forte croissance, constate Jason Yu, directeur général de Kantar Worldpanel en Chine. Tous les acteurs de l’e-commerce aident et permettent aux détaillants physiques de retrouver leurs activités. » Pour la première fois depuis longtemps, la croissance des acteurs traditionnels est remontée à 8 % en 2017, selon l’association chinoise des chaînes de magasins et des franchises. Mais elle est surtout le fait des magasins de proximité, les grandes surfaces continuant de tirer la langue.

Spécificités chinoises

La Chine est une source d’apprentissage et d’inspiration pour les autres pays, conviennent Auchan et Carrefour. « Les distributeurs occidentaux se sont implantés en Chine en répliquant leur modèle de magasins existants. Maintenant, certaines innovations chinoises pourraient être répliquées en Europe et aux Etats-Unis », poursuit Jason Yu. Le premier Auchan Minute ouvrira en mars au siège du groupe, à Villeneuve-d’Ascq. Et Carrefour va tester la solution Scan & Go au Brésil, après une visite des équipes à Shanghai.

Mais le marché chinois a aussi ses propres spécificités, marqué par un fort usage du paiement mobile, une densité urbaine et une main-d’oeuvre bon marché réduisant considérablement les coûts de livraison sur le dernier kilomètre ou encore un cadre légal peu contraignant sur la protection des données privées.

 

Source : Les Echos – Frédéric Schaeffer

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